Jérémie a laissé la réputation d’un prophète de malheurs: lui même se plaignait amèrement de n’avoir à annoncer que des tragédies, ce qui ne l’empêchait pas de faire sienne la colère de Dieu contre le peuple irresponsable qui s’enferrait dans ses trahisons. Alors que le peuple, ses prêtres et ses prophètes se confiaient aveuglément dans le Dieu unique qui les avait choisis et qui se devait de les défendre, il avait annoncé la ruine du monde judéen. Les Lamentations que la tradition lui a attribuées, sans doute à tort, sont comme une réponse tardive, trop tardive, à ses appels à la conversion. Les déportés et les Judéens restés sur place ne peuvent que reconnaître la justice de Dieu et les fautes de leurs pères. Mais cette confession est celle d’un peuple qui en a trop vu. On sait que Dieu avait raison, mais cela n’exclut pas le scandale quand on se rappelle les horreurs du double siège de Jérusalem et les tragédies qui ont accompagné la déportation. Les années passent, ceux qui restent comprennent qu’après tant de chutes dont on s’était relevé, leur monde, cette fois, est définitivement mort. Y aura-t-il un avenir ? On n’en voit aucun et l’on ne peut que s’en remettre à la miséricorde de Dieu. Celui qui a tant de fois promis ne peut pas accepter la mort de son peuple. Ces poèmes sont alphabétiques, comme le sont certains psaumes, c’est-à-dire que chaque strophe commence par une lettre de l’alphabet, ce qui est une façon de vouloir enfermer dans le poème la totalité de la souffrance, ou du scandale, ou de la supplication. Il est possible que les cinq poèmes n’aient pas été composés au même moment. Le premier aurait été publié au lendemain du premier siège, lorsque le Temple était encore debout. Le deuxième et le quatrième au lendemain de la grande déportation qui suivit le second siège. Le troisième et le cinquième seraient plus tardifs, quand déjà le choc était passé. Lorsque les exilés furent revenus à Jérusalem, il est probable qu’ils se réunirent pour prier sur les ruines de ce qui avait été le Temple : peut-être est-ce alors quand on a réuni ces quatre poèmes. Plus tard on continua de les redire à l’anniversaire de la catastrophe. L’Église, à son tour, a pris l’habitude de les lire au temps de la Passion. Le croyant unit à la Passion du Seigneur tout ce qu’il y a de souffrances et d’angoisse dans l’humanité. Ces poèmes nous aident à joindre à la vision de la douleur universelle le sens du péché et de la responsabilité des hommes dans leurs souffrances.